Un sourire étira les fines lèvres de Milan alors qu'il jetait un furtif coup d’œil à sa droite, du côté passager habituellement vide de sa voiture bon marché pour y découvrir le visage songeur de celle qu'on lui avait présenté comme étant sa cousine. Si elle avait l'air assez coopérative en apparences, Hastings ne pouvait s'empêcher de ne craindre l'avenir de cette relation pour le moins inhabituelle. Peu de personnes pouvaient expliquer ne connaître leur propre famille qu'au travers de mails sobres; plus rares encore étaient celles qui se retrouvaient dans cette étrange situation et devaient héberger cette partie de leur famille dont ils n'avaient connaissance que de par des moyens technologiques certains.

Alors face au silence -assez peu gênant, étrangement- qui planait dans la voiture, Milan ne pouvait s'empêcher de laisser vagabonder son imagination. Il envisageait toute sorte de possibilités, mais malgré lui s'attardait sur les scénarios catastrophes, comme pour se préparer à mieux y faire face s'ils s'avéraient réalité. Ainsi, il songeait que la richesse ostensible de la jeune femme pouvait lui conférer un caractère de petite peste qu'il aurait rapidement du mal à supporter. Il envisageait qu'elle puisse être une profiteuse qu'il aurait volontiers mise à la porte, mais que son trop encombrant sens moral lui suggérerait de pardonner. Il pensait enfin que Heather pourrait ne pas du tout s'entendre avec elle. Elle s'éloignait déjà assez de lui comme ça, nul besoin de mettre entre eux une cousine désagréable.

D'un autre côté, de ce qu'il en avait lu dans ses mails, Morgane ne semblait pas vraiment être ce genre de fille superficielle au possible avec des dollars canadiens à la place du cœur. Et depuis qu'il l'avait récupérée à l'aéroport, elle lui inspirait même assez confiance. C'était probablement dû à son sourire angélique, ses yeux rieurs et enfantins. Oui, il lui avait déjà été donné de voir son sourire, même en si peu de temps: elle n'était visiblement pas du genre à ruminer et bouder toute la journée, c'était déjà une grande qualité.

Cet entrain naturel se confirma bientôt, lorsque Milan engagea la voiture sur le court chemin de terre qui menait à la bâtisse où Morgane habiterait désormais. Lorsqu'il se gara et qu'ils purent sortir, les yeux pétillants de miss Barnes brillaient d'un engouement quasi-enfantin que Milan trouvait attendrissant. On aurait sincèrement dit un enfant qui découvrait l'une des merveilles du monde. Il n'aurait pu être plus ravi d'un telle manifestation de satisfaction: elle allait y vivre, mieux valait donc que la maison lui plaise. C'est un peu surpris néanmoins qu'il la reçut dans ses bras, sentant rapidement ses traits se décrisper en un sourire amusé et bienveillant face à sa réaction. Il préférait largement ces démonstrations d'affection à un refus total de communication. Finalement, il n'avait peut-être pas besoin de dramatiser: elle avait l'air très agréable. Lorsqu'elle proposa qu'il la fasse visiter, le jeune professeur acquiesça à plusieurs reprises. « Bien sûr! Je suis ravi qu'elle te plaise, d'ailleurs! » Il lui fit signe de le suivre, et commença à faire quelques pas en direction du bâtiment. Songeant qu'ils auraient tout le loisir de faire le tour du jardin plus tard, il s'empressa plutôt de pousser ses clés à l'intérieur d'une porte d'entrée à l'allure imposante. Lorsqu'il l'ouvrit, un vent d'air frais conservé à l'intérieur de la villa les entoura temporairement. Il se décala alors, laissant Morgane entrer devant lui pour la laisser découvrir le hall par elle-même. La hauteur sous plafond était assez impressionnante... la surface au sol ne l'était pas moins, pour un hall d'entrée qu'ils auraient du mal à rendre chaleureux dans la mesure où il était plus grand que le salon de l'ancien appartement de Milan. On voyait sur la droite un escalier grimper au premier étage en épousant la courbure du mur auquel il était accoté. Au rez-de-chaussée, deux couloirs distincts couraient le long de la villa, suggérant sa profondeur certaine. Si ce hall était assez sombre de par le manque évident de fenêtres prévues pour une si grande pièce, on entrevoyait en revanche des rayons de soleil qui se faufilaient au niveau des couloirs. « Alors, hum... Au rez-de-chaussée, il y a toutes les pièces "communes" et basiques; je te montrerai plus exactement tout à l'heure, mais de ce côté là on a une cuisine et des sanitaires, et là-bas une sorte de salon... tu y trouveras aussi mon bureau et deux-trois autres pièces dont on ne sait pas encore que faire » Annonça-t-il en grimaçant légèrement, se demandant comment ils pouvaient avoir tant de place qu'ils ne savaient plus comment occuper l'espace. Il agrémentait ses paroles de gestes méticuleux, mais envisagea plutôt de mener la brunette à sa chambre, pour qu'elle puisse s'installer et se projeter plus efficacement. « Et à l'étage... » Il lui fit à nouveau signe de le suivre, et entreprit de monter les escaliers. Après quelques marches il reprit, utilisant toujours des gestes pour accompagner ses dires. « ... il y a ma chambre, celle de Heather... » -et dire que fut un temps ils avaient la même-« ... une bibliothèque, une chambre d'amis, et donc ta chambre. » Milan avait pensé qu'elle serait plus à l'aise dans la plus "jolie" des deux; elle avait été refaite probablement un peu plus récemment que les autres pièces, et l'autre chambre avait selon lui un air de manoir qui avait quelque chose d'effrayant. Une fois arrivé devant une porte close, il attrapa la poignée d'un air énigmatique. « Et voilà ta chambre. » Il ouvrit ladite porte, restant à l'écart pour qu'elle rentre avant lui, espérant de tout cœur qu'elle s'y sentirait à l'aise. Il pouvait être difficile de se sentir chez soi dans une maison si atypique.