12 octobre 2007. 09h37. Bibliothèque du Kelvin High School. Winnipeg. Canada.Le rayon « littérature étrangère » était enfin rangé… Et surtout nettoyé ! Heather ne savait pas comment l’ancienne bibliothécaire avait géré la salle avant elle mais c’était d’une désorganisation et d’une saleté pas croyable ! Les livres n’étaient pas rangés dans la bonne section, elle s’était même sûrement créé un alphabet personnel parce que la jeune brune ne comprenait pas comment Bukowski pouvait se trouver après Proust ni même comment un tome des Simpson avait atterri dans la section « grandes œuvres littéraires américaines »… Lunettes sur le nez et chiffon en main, Heather descendit lentement de l’échelle et alla chercher une nouvelle pile de livres à classer. Elle avait vidé des sections entières la semaine dernière, depuis son arrivée en fait, et avait tout reclassé : ça lui avait pris tout son temps mais maintenant au moins, elle y voyait clair ! Et les étudiants ne viendraient plus la voir toutes les cinq minutes pour lui demander dans quelle section se trouvait tel ou tel livre.
Nous étions mardi matin et quelques élèves qui avaient une heure de permanence en avaient profité pour faire leurs devoirs dans le calme de la bibliothèque. Heather entendait des murmures émaner des quatre coins de la salle, elle n’avait pas encore eu à intervenir pour maintenir le silence dans son antre – les élèves du Kelvin High étaient plutôt bien disciplinés – même si elle se doutait que c’était surtout souvent les meilleurs élèves de l’établissement qui venaient étudier à la bibliothèque. Traversant une nouvelle fois la salle avec une pile conséquente de livres dans ses bras, Heather s’arrêta au niveau du rayon de littérature anglaise et déposa son lourd fardeau à ses pieds. Elle vérifia que chaque livre avait bien, sur le dos de la couverture, une petite étiquette munie d’un code barre qui allait lui faire gagner du temps lorsque les élèves viendraient lui emprunter le livre. Tout était parfait. Le sourire aux lèvres, Heather rangea les livres un par un sur l’étagère. Alors qu’elle était en train de classer les grands succès de Dickens, un mot ou plutôt un nom murmuré non loin de là attira cependant son attention, la déconcentrant de son travail quelques instants…
« C’est vraiment génial qu’on l’ait à nouveau cette année… » murmura la jeune fille rousse du groupe de quatre étudiantes qu’Heather avait vu débarquer à la bibliothèque dès huit heures ce matin.
« Tu veux dire que c’est même carrément génial qu’on l’ait comme prof principal ! On ne pouvait franchement pas rêver mieux ! Il est le meilleur des profs qu’on ait jamais eus ! » rétorqua sa voisine de gauche.
« Vous dites ça parce que vous avez le béguin pour lui depuis notre tout premier jour au lycée… »
FANTÔME N°3
à l'aide d'un
PISTOLET,
prochain fantôme:
« j'habite pas très loin
du lieu de la fête... » |
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s’amusa la brune à lunettes qui ressemblait à s’y méprendre à Heather lorsqu’elle était elle-même au lycée.
« Parce que t’as pas le béguin pour lui, toi peut-être ? « Oh Monsieur Hastings, laissez-moi porter votre sac, vous êtes tellement chargé ! », « Monsieur Hastings, j’ai la répooooonse… ! » minauda la première en imitant la voix haut perchée de son amie qui, suite à cette remarque, s'était mise à rougir.
Heather se mit à sourire et, prenant son chiffon en main, elle épousseta l’étagère pourtant déjà nettoyée. Ces jeunes filles parlaient de Milan, le prof de littérature avec qui elle avait fait connaissance dès son arrivée au Kelvin High. Passionnés tous les deux de livres, ils s’étaient immédiatement bien entendus et Heather appréciait toujours de passer du temps en sa compagnie. La jeune bibliothécaire s’amusa d’entendre ces quatre étudiantes parler de Milan en de tels termes… Apparemment, le prof de littérature avait la côte auprès de la gente féminine de l’établissement… ! Si ces jeunes filles savaient que dans un petit quart d’heure Heather allait le retrouver en salle des profs autour d’un bon café bien brûlant, elles en seraient vertes de jalousie !
« Vous croyez qu’il est célibataire ? » s’enquit l’une des filles. Heather posa le chiffon sur l’étagère, penchant légèrement la tête sur le côté pour mieux entendre leur conversation.
« Il est pas marié en tout cas, il a pas d’alliance… »
« Il est jeune, c’est normal qu’il ne soit pas encore marié… »
« En tout cas, il vit seul. »
« Comment tu sais ça-toi ? » murmurèrent un peu plus fort les trois autres filles en même temps.
« Ma grand-mère habite pas loin de chez lui et… elle n’a jamais vu personne à part lui rentrer chez lui donc… »
« Tu sais où habites monsieur Hastings et tu nous l'as jamais dit !! » Un stylo vola jusqu’à la tête de la copine indigne.
« J’ai hâte d’avoir cours avec lui cet après-midi en tout cas… Je vous préviens… Prem’s pour le premier rang !! Je veux être aux premières loges quand il s’assiéra sur son bureau et qu’il fera sa pose, vous savez, « je croise les jambes, je prends un air sexy et je vais vous lire les deux premières pages du livre… » J’en bave d’avance ! »
Les quatre filles poussèrent un soupir en chœur alors qu’elles s’imaginaient leur prof de littérature préféré à quelques centimètres d’elles dans son costume qui lui allait à merveille. Heather, un sourire amusé aux bords des lèvres, s’éloigna du rayon et reprit sa place derrière son bureau. Elle allait avoir des choses à raconter à Milan lors de la récréation… Pouffant de rire, elle remit de l’ordre sur son bureau et attendit que la sonnerie stridente des fins de cours retentisse dans les travées du lycée.
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Heather se fraya un chemin parmi le flot de professeurs déjà présents en salle des profs. Certains qui ne s’étaient pas vus au matin se saluaient, d’autres racontaient déjà les malheurs que leurs élèves leur faisaient subir en cours. La brune repéra le prof de littérature préféré de tout Kelvin High au distributeur de café. Arrivant à côté de lui, elle remit une mèche de cheveux en place derrière son oreille et d’un sourire timide le salua.
« Bonjour Milan… Les premières heures de cours n’ont pas été trop difficiles ? »Elle avait beau essayer d'effacer cette image de son esprit mais Heather ne pouvait s'empêcher d'imaginer Milan en train de faire la lecture à ses élèves, assis sur son bureau, l'air sérieux et les jambes croisées. Oh qu'elle aurait aimé avoir dix ans de moins pour pouvoir assister à l'un de ses cours...
Le bruit de papiers froissés et de trousses refermées à la hâte imprégnait désormais la salle d'un cours qui n'était pas tout à fait terminé. Milan tentait tant bien que mal de rappeler à ses élèves qu'une telle attitude -en plus d'être irrespectueuse- ne leur ferait que perdre davantage de temps lorsque sa mauvaise humeur lui dicterait de ne les laisser sortir que cinq minutes minimum après que la sonnerie officielle ait retenti. Libération stridente. Il n'y avait que ces quelques filles, au premier rang, qui semblaient boire ses paroles jusqu'à la dernière syllabe. Et naïvement, monsieur Hastings s'en enorgueillissait en décrétant -pour lui-même, pour l'instant- qu'il était un professeur passionnant et que son discours, sinon très attirant, était prononcé avec une éloquence et un dynamisme si certains qu'il en venait à captiver une cheerleader qui, à ce qu'il avait entendu de la part de ses collègues, n'avait pas grand chose à faire des autres cours. "Nul doute qu'elle aime la littérature", s’embourbait-il, convaincu du bien fondé de son innocente pensée, "c'est une matière bien plus enrichissante que la technologie ou les sciences de la terre". Oui mais voilà, monsieur Hastings. Outre votre admiration pour la grandeur d'esprit de Jean-Paul Sartre, ce qui importait à Joane Halloway, c'était la chemise que vous portiez aujourd'hui -et celles que vous portiez les autres jours. La prof de sciences naturelles avait beau exceller en sa profession, elle restait une femme. Et pour cette raison, elle demeurerait incapable de captiver Joane plus de trente secondes d'affilé. Toute cette attention, mal-venue si elle venait à être découverte, Milan ne la voyait pas. Non pas qu'il eut été préférable qu'il ferme les yeux; non, du tout. Il ne voyait rien. ça ne lui traversait seulement pas l'esprit. Parce qu'elles étaient bien trop jeunes. Parce qu'il pensait que ses élèves le voyaient comme un pré-retraité à l'âge avancé. Parce que trop les opposait parfaitement pour qu'aucun parti ne songe un seul instant avoir une attirance pour l'autre. Parce que son esprit vagabondait déjà autre part. Parce que son esprit ne s'attardait pas sur les visages blafards et mornes d'élèves à moitié endormis. Parce que son esprit allait plus loin. Parce que son esprit, pendant qu'il essayait de paraître présent, s'attardait dans ses récents souvenirs des yeux océans de Heather Bowen.