Finalement ce qui me définit, ça n'a peut-être rien à voir avec mon nom, mon adresse. Ça n'a pas d'importance l'endroit d'où je viens, la famille qui m'a élevée, ce que j'étais petite. La paperasse finalement, elle ne raconte rien. Merliah, américaine, Denvers, Etats-Unis, 23 ans. Ça ne raconte pas la première fois que j'ai dit "papa", ma première chute, mes pleurs qui n'en finissaient pas et mes parents qui étaient trop occupés pour me prendre dans leur bras, pour me réconforter. Mes courses avec les papillons, les après-midi d'été dans le jardin, avec mon petit Bob si craquant, offert par ma mère pour combler son absence. Mon premier regard avec ce petit garçon adorable à la maternelle, qui ne peut détacher ses jolies prunelles océans de mon sourire. Les ballades à vélo avec ma nourrice qui ne m'a jamais dit qu'elle tenait à moi, ayant trop peur de se faire renvoyer.Mes éclats de rire quand ma mamie me chatouillait, comme une petite fée, on croit entendre un ange. Les jeux avec mon petit chien qui aboie toujours joyeusement en me voyant rentrer de l'école tous les soirs et qui vient la saluer en remuant la queue comme avec personne d'autre, le seul qui est présent chaque jour à ses côtés. La première fois que j'ai fait du vélo sans roulettes, cette sensation de plénitude et de liberté, "je l'ai fait", ça été dure, je suis tombée, j'ai pleuré, mais je l'ai fait. Ma fierté lors de mes bonnes notes à l'école, mon empressement de le raconter à mon père tout de suite, devoir l'attendre encore et encore, mais il rentra très tard. Les goûters chez Arthur le mercredi après-midi, en attendant que mes parents rentrent du boulot.Les cours de piscine avec Elisa, la plus géniale des copines et cette eau toute tiède, ni chaude, ni froide, juste comme il faut. Rentrer chez moi et avoir des courbatures partout mais être satisfaite de moi. Le collège, cette impression de grandir. Les picotements dans l'estomac quand j'ai vu Paul, cette impression que tout s'envolait dans ma tête, je cherchais quoi dire, mais plus rien ne venait. Les premiers échecs. Maman, j'ai raté mon contrôle. Chercher la déception dans ses yeux, mais me rendre compte qu'elle s'en foutait, trop concentrée par sa conversation téléphonique. Premier trou dans le coeur. Ma mamie chérie n'est plus là. Plus de chatouilles à en pleurer, de tarte tatin que je dévorais à en avoir mal au ventre, de courses en ville qui n'en finissaient pas, de cadeaux sans arrêt, d'un amour presque écrit sur son front.Je ne pleurais même pas, je ne pouvais pas. J'étais vide, comme un petit coquillage échoué sur la plage, desséché par les va et viens de la mer salée. Être forte, toujours. Sourire à Arthur, mais le dire à Elisa. Me faire réconforter un peu, manger des kinder avec elle, mais me sentir toujours aussi vide. Le premier bisou avec Paul. Ce sentiment de n'être née que pour ce moment-là. Moment qui s'arrête, vie suspendue. Paul, Paul, Paul. Les mois passent, Paul a changé. Fin de l'amourette. Lycée. Soirées, bande de copines intrépides, avec qui je fais les 400 coups. Alcool jusqu'à ne plus savoir compter, embrasser pas mal de garçons, mais penser toujours à Jérémy, qui se fout bien de moi.Mamie me manque. Papa a été arrêté pour détournement de fond. Il est en prison. Je pleure, je sens le regard des gens sur moi lors de mon passage. Les murmures sont toujours là, où que je passe, où que j'aille. Maman s'est mis avec un autre, elle en a rien à faire de ma peine. Tout le monde autour de moi à changer. En avoir marre et partir, quitter la ville. Déménager au Canada, dans une petite ville du nom de Winnipeg. Ne pas vouloir vivre seule, trouver une annonce de colocation. Rencontrer Timéo. Reprendre mes études. Non vraiment, tout ça, ce n'est pas écrit sur ma carte d'identité. C'est tout ce qui manque au papier, les ressentis, les choses qui se passent en nous et qui ne se racontent pas.