-Winter ! Tu as fini de courir partout ? Tu es insupportable !

Et encore une remontrance. Pourtant il était resté sage tout l'après-midi ! Il avait joué dans chambre avec ses playmobils et avait pris soin de ne surtout pas faire de bruit. Elle n'aimait pas ça, quand il faisait du bruit, sa sœur. Elle était toujours au téléphone ou devant la télé et quand il était bruyant, elle criait qu'il la dérangeait. Mais il s'ennuyait lui ! Il voulait sortir, et il était toujours enfermé dans ce petit appartement du centre ville de Vancouver. En plus, de la fenêtre du salon, on voyait le parc d'en face. Parfois Jeny le laissait y aller tout seul. Mais pas souvent, parce qu'elle disait que si maman l'apprenait, elle se fâcherait. « on laisse pas un gamin de six ans sortir sans surveillance » qu'elle affirmait. Alors il tournait en rond dans sa chambre en essayant de trouver une nouvelle histoire à inventer. Oh, il ne manquait pas d'imagination, au contraire, mais Winter adorait bouger. C'était comme ça, il avait besoin d'espace.

De temps en temps, son aînée partait voir ses amies, et lui restait seul. Il adorait ces moments là, parce qu'il pouvait enfin sauter, courir, se rouler par terre et profiter de tout l'espace en faisait les bruits qu'il voulait. Alors il se prenait pour un pirate, un samourai, un oiseau géant... Et il volait de fauteuil en fauteuil en combattant des monstres que lui seul pouvait voir.

Mais après, Jeny revenait, et il devait retourner jouer dans sa chambre. Sa maman, il ne la voyait pas souvent. Elle était secrétaire dans une grande entreprise, et elle sortait avec le patron. Son papa. Mais lui, il le voyait encore moins. Il passait de temps à autre et lui donnait un paquet de marshmallow avec un sourire d'adulte et lui ébouriffait les cheveux. Winter l'aimait bien, mais pas comme son papa. Parce qu'il agissait comme les amis de sa sœur, pas comme un vrai père.

D'ailleurs Jeny, ce n'était pas vraiment sa sœur, elle le lui répétait souvent. « t'es mon frère qu'à moitié, alors va pas croire qu'on est pareil et que je m'occupe de toi parce que je t'aime ! » faisait-elle régulièrement. Elle avait 9 ans de plus que lui et était née d'une aventure d'un soir. Dès qu'elle put quitter la maison, elle partit vivre avec son fiancé et ne revint plus que trois ou quatre fois par an.

A cette époque, Winter se sentait très isolé, et pour combler son ennui, il passait son temps à cuisiner. Il adorait préparer des plats variés, des desserts colorés et des hors d’œuvre originaux. Et puis, ça faisait plaisir à sa mère quand elle rentrait tard et qu'elle trouvait son frigo rempli de nourriture. Elle disait qu'il était doué, et ça le remplissait de fierté. Étant plutôt -très- médiocre à l'école, elle n'avait pas beaucoup d'occasions de le féliciter...  

Mais Winter n'aimait pas l'école. Dès qu'il bougeait sur sa chaise, la maîtresse le grondait, et il ne comprenait pas les exercices et regardait toujours part la fenêtre la court de récréation, en s'imaginait gambader dehors. Et puis il n'avait as d'amis, tout le monde l'ignorait... Alors il essayait de se faire remarquer en faisant des blagues, mais personne ne riait jamais et on le traitait d'idiot. Un jour le directeur avait appelé sa mère en lui disant que son fils était un fauteur de troubles et qu'il devait s'assagir.

« Tu n'es qu'un poids pour la société, Winter ! Tu devrais faire profil bas, au lieu de quoi tu t'échines à enchaîner conneries sur conneries ! Tu ne grandiras donc jamais, sale tapette ?! »

Et le jeune homme de 16 ans baissait les yeux, honteux. Il n'avait pas fait exprès de casser la grande assiette plate... Il voulait juste s'en servir pour poser son gâteau dessus, et elle lui avait glissé des mains. Pourtant il s'était dis que peut-être son beau-père, que sa mère avait épousé un an auparavant, serait content de trouver son dessert préféré en rentrant. Mais il l'avait encore mis en colère... Il se passa la main sur sa joue, où la claque de l'homme s'était abattue un peu avant. Ça faisait mal... Il était toujours énervé contre lui. Parce qu'il ne tenait pas en place, parce qu'il était homosexuel et que c'était une honte, parce qu'il était maladroit... Ou juste simplement parce qu'il était là. Et sa mère se taisait.

Alors, quand il obtint son diplôme -de justesse- il s'envola vers New-York. Là-bas, il voulait apprendre la cuisine auprès de vrais professionnels. Son rêve, c'était d'ouvrir un restaurant. Un beau et grand restaurant pleins de couleurs vives et joyeuses où les gens mangeraient en riant. Il savait qu'il avait déjà un bon niveau en cuisine, mais comme il s'était contenté d'études générales, il ne put être embauché qu'en tant qu'assistant cuisinier. Il fit le tour des restaurants de New-York, mais partout il ne fit que mettre la sauce sur les plats, laver le sol ou faire la vaisselle, ou le service quand les serveur étaient débordés. Mais il ne perdait pas espoir et chaque mois, il mettait de côté ses petites économies dans le but d'ouvrir un jour son propre établissement.

Cette vie, loin de toutes les personnes qui l'oppressaient, lui donna un nouveau souffle. Il rencontra des gens, apprit à assumer son homosexualité, dont il avait toujours eu honte jusqu'à présent -et son beau-père y était pour beaucoup- et découvrit tout un monde qu'il ne connaissait pas.

Au bout de deux ans, il revint à Winnipeg, là où sa mère s'était installée avec son beau-père, et se choisit un petit appartement confortable près de son nouvel emploi. Encore assistant bien sûr, mais les cuisinier étaient gentils et ils le laissaient plus libre de ses mouvements qu'à la capitale américaine.

Winter a aujourd'hui sa petite routine, et même si ses facétie lui attirent parfois des ennuis, il reste toujours souriant et optimiste.